Balade architecturale près du café La Loggia
Nous avons rencontré l’architecte Jacques-Emile le Caron dans son atelier, une petite dépendance rouge entourée de verdure. Ce jour-là le ciel est bleu, le vent souffle. Sur le mur, le soleil joue avec le feuillage pour dessiner une ombre virevoltante. D’un regard bleu azur il répond à nos questions avec un sourire magnifique.
Où avez-vous suivi vos études d’architecture ?
A l’École Spéciale d’Architecture à Paris et aux États-Unis à l’université d’Harvard.
La rue des fougères est emblématique de votre démarche artistique avec 9 maisons réalisées par votre cabinet. Comment qualifieriez-vous la rue des Fougères ?
C’est un essart dans la forêt de Meudon [un endroit où on a coupé la forêt], un coteau. Autrefois quand je l’ai connu, les péniches sur la Seine klaxonnaient pour l’écluse de Suresnes. On les entendait de la rue. Du haut des maisons, on aperçoit un petit bout de Seine. C’était un petit lotissement avec au milieu avec une grande maison dans un îlot central et tout autour des petites maisons ouvrières. Ça s’est complètement transformé, Jean Arp et Sophie Taeuber sont d’abord sont venu habiter là. Ensuite il y a eu un publicitaire puis il y a eu un de mes clients puis je m’y suis installé, c’est ma rue.
A propos du processus créatif, du passage de l’idée à l’œuvre visible. Sur votre site, lorsque vous présentez par exemple, La maison d’acier, vous parlez au conditionnel. Est-ce ainsi que vous envisagez vos projets, d’abord par une forme concrétisée par des mots ?
Oui et non parce que les mots sont une introduction à mes projets et pas du tout une description, une contrainte. Il y a beaucoup de choses que je ne peux pas dire par les mots, parce qu’il n’y pas de mot pour le dire. Ce qui va concrétiser l’idée c’est d’abord le ressenti.
Par exemple je travaille sur un nouveau projet rue des fougères. Ce terrain a la particularité d’être en liaison avec trois paysages. Le premier paysage est celui des pavillons voisins, il faut que votre maison soit en harmonie avec cet ensemble. Ensuite il y a la forêt, et sur la droite vous avez la vue sur la vallée. Il faut aussi être en harmonie avec eux. Ensuite la caractéristique d’une maison, tous les bâtiments en réalité, c’est d’être relié à la terre et au ciel, avec tout ce que cela comporte en termes de symbolique.
Ainsi vous avez réalisé 130 projets en 40 ans d’activité, de quels projets êtes-vous le plus fier ?
Parmi les maisons dont je suis le plus fier, ce sont les maisons de la rue des Fougères. Parce que ce qui m’intéresse dans l’architecture, c’est l’émotion. J’ai le sentiment qu’en faisant des maisons individuelles, celles-ci en particulier, la vie qu’une architecture va engendrer pour les gens qui l’habitent et pour ceux qui la voient est lié à l’émotion.
Prenons l’exemple de la maison Toulaho. Elle témoigne d’une capacité d’oser et mêle la beauté à l’imagination sans limite. Est-il possible de résumer ce projet en quelques mots ?
Ce projet est un rêve d’enfant. Mon père était un artiste peintre et je n’ai pas voulu être peintre. Je voulais faire un métier raisonnable, scientifique. Lorsque j’ai fait ma maison, je l’ai fait comme si ça devait être un atelier de peintre, une grande pièce vitrée.Et puis, j’ai passé mon enfance près d’une forêt. Donc c’était la forêt de mon enfance que je voulais voir avec des arbres entiers. Donc il fallait une fenêtre de 9 mètres de haut pour voir un chêne multi centenaire en entier.
Ensuite, une fois que j’avais fait mon atelier en bas, dans le sable -lié aux carrières de sable de la forêt de Fontainebleau dans lequel je faisais mes châteaux de sable enfant – et ce grand volume, il me fallait quand même deux chambres. J’avais envie de suspendre quelque chose au milieu. J’ai cherché -j’avais été formé par des architectes modernes- donc je cherchais des formes modernes. Je travaillais dans la petite maison qui était sur ce terrain. Un jour n’en pouvant plus, un vendredi soir avant de rentrer chez moi, j’ai suspendu par l’imagination cette petite maison dans ce grand atelier. Je n’ai jamais pu me défaire de cette idée et je l’ai réalisé !
Promenez-vous en hauts-de-Seine et visitez la rue des fougère. Puis prenez le temps d'un brunch ou d'un chocolat chaud à La Loggia.
Pour terminer, vous qui avez vécu si près de la forêt, presque en symbiose avec elle, quels messages souhaitez-vous communiquer sur ce rapport entre vivant et architecture ?
Une maison c’est ce qui nous relie avec le monde, profondément. Quand je rencontre un jeune architecte, je lui dis de dessiner à la main, d’écrire à la main. J’ai une collaboratrice qui adore cuisiner, je trouve ça merveilleux, il faut toucher les choses. Il ne faut pas avoir peur de voyager, de ce qui nous est étranger, des immigrés… J’ai appris fantastiquement de gens qui étaient au départ pour moi des « martiens ». Il ne faut pas avoir peur, peur de rien.
Jacques-Emile Lecaron est aussi l’architecte de la maison-bateau, l’espace où Richard Wagner a composé Le Vaisseau fantôme. Ce projet réalisé en 1993 a fait l’objet d’un très bel article dans la revue Vallée de la culture n°14. En venant au café boutique La Loggia, vous pouvez aussi voir cette maison car elle se trouve au 27 avenue du château à Meudon.
Liens pour en savoir plus
Article sur la maison de Wagner
Site de l’architecte Jacques-Emile Lecaron
Dessins et interview de J.E. Lecaron sur Slash
Interview et Photo ©ValerieAgneray
Carte Mappy